ET APRÈS C'EST DEMAIN - THÉÂTRE ET INSERTION PROFESSIONNELLE DE JEUNES ADULTES MIGRANTS

Et après c’est demain

Publié en novembre 2006

Sur scène, sept jeunes livrent au public leur histoire, leurs histoires : celles de jeunes d’origine africaine, tchétchène, algérienne ou sri lankaise, arrivés en France après des parcours marqués par la souffrance.
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NOTE D'INTENTION

Nos « comédiens » ne sont pas professionnels. Ils sont en formation pour apprendre le français et envisager un autre avenir, trouver une piste de travail. On leur a demandé de faire du théâtre.

Tchétchénie, Darfour, Algérie, Sri-Lanka, Kurdistan... La plupart d’entre eux viennent de régions, de pays en conflit. Ils sont accaparés par un quotidien difficile. Présenter un spectacle ? Ils n’en voyaient pas le sens. Il est plus difficile de s’intéresser aux dimensions symboliques de la vie quand on s’est senti écrasé par elle.

J’ai d’abord demandé à chacun de raconter des souvenirs personnels. Ils ont dû quitter des lieux, des gens, oublier... Leur français est encore précaire et ils n’ont pas toujours envie de parler de leur histoire. Ils la portent comme un baluchon dont ils vous ont extrait quelques éclats de vie.

Ce sont des paroles brutes, des mots simples qu’il faut parfois déchiffrer, souvent peu de mots.

L’un d’entre eux a raconté en quelques mots le périple de milliers de kilomètres qui l’a mené du Darfour à Sangatte.

Le français oral pauvre de mots a ceci d’intéressant que son dépouillement amène à des raccourcis saisissants. La parole prend alors une densité riche de non-dits et d’impossibilités de parler.

Nous avons ensuite théâtralisé ces histoires.

Car dans les « Instantanés » que nous créons depuis cinq ans, nous entendons les histoires racontées par leur auteur avant de les voir jouées par d’autres. Chaque mot prend une résonance nouvelle, chaque phrase un sens différent. Le souvenir est détourné et d’une certaine manière trahi.

Le théâtre est un espace symbolique, il permet à tous, acteurs et spectateurs, de mettre à distance la réalité, de concentrer la vie. Aujourd’hui, ce qui guide le plus mon travail au théâtre est l’art du clown. Il ne comprend que l’instant présent. Les gens arrivent cachés derrière un masque, ils sont néanmoins condamnés à être sincères. Dès qu’ils ne sont plus, la supercherie clownesque s’effondre.

Nos comédiens vont jouer cachés derrière un texte. Pas « leur » texte, le texte d’un ou d’une « autre » parmi eux. Ils nous feront partager quelque chose d’atypique, qu’un comédien peut difficilement réinventer chaque soir : la peur de la première fois. S’ils transforment cette peur en un fond d’énergie vitale, de quiétude intérieure, d’authenticité, ils laisseront en nous une petite musique, comme une empreinte de leur histoire. Les récits auront échappé à leurs auteurs et à leurs interprètes.

Et, espérons-le, pour quelques instants leurs doutes, leur sentiment de distance et la douleur de ce sentiment se seront dissipés parce qu’il auront été partagés avec le public.

Le dépouillement est au cœur du spectacle, comme il l’est de leurs paroles, de leur vécu. De notre démarche également. Notre but est que nous découvrions de multiples résonances cachées dans les sous-textes.

Que nous voyions et entendions leurs histoires autrement, avec chaleur, sourire et poésie, dans l’esprit de ceux qui regardent avec quelques secondes de distance ce qui se joue sur le moment.

© Gérard Gallego, septembre 2006

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